
Genre : Récit autobiographique

Quatrième de couverture :
Figure emblématique de l’histoire des Etats-Unis, Maya Angelou s’est engagée corps et âme dans le XXe siècle américain.
Tant que je serai noire débute en 1957 lorsque, décidée à devenir écrivain, elle part avec son fils, Guy, pour rejoindre Harlem, épicentre de l’activité intellectuelle des Noirs américains.
Elle participe aux bouleversements de l’époque et rencontre des artistes comme Billie Holiday et James Baldwin, et les leaders du mouvement des droits civiques, Malcolm X et Martin Luther King.
Enfin, conquise par Vuzumzi Make, qui se bat pour la liberté des Noirs d’Afrique du Sud, elle part vivre en Afrique, théâtre des luttes anticolonialistes, où elle devient journaliste.
Ce récit autobiographique dessine le portrait d’une femme exceptionnelle qui a intégré, jusqu’au cœur de sa vie intime, une véritable révolution mondiale, culturelle et politique.
Ce que j'en ai pensé :
Un témoignage poignant, riche, évocateur et révélateur de l’Amérique de la fin des années 50, début des années 60, en plein tournant dans la lutte pour les droits des Noirs. Le pays est alors divisé, l’époque perturbée, partagée entre avancées majeures (comme le droit pour la population noire de dormir à l’hôtel) et revirements soudains et tout aussi violents en la matière.
On suit Maya Angelou, l’auteur, une parfaite inconnue pour moi jusqu’à cette lecture.
Étrange chose que de lire le témoignage d’une personne que l’on ne connait pas et pourtant, je ne regrette pas.
J’ai adoré faire connaissance avec elle ! Quelle femme, nom de Zeus !
C’est donc avant tout le contexte qui m’a amenée vers ce livre et mes attentes sur ce point-là également sont totalement comblées.
On croise la route de figures célèbres comme Martin Luther King, d’artistes de l’époque tels Billie Holiday ou les écrivains de la Guilde de Harlem dont John Killens, l’ami de Maya, celui sur qui elle peut compter en toute occasion, comme une figure paternelle de substitution.
J’ai aussi croisé beaucoup de noms qui m’étaient étrangers et qui semblent cependant avoir eu un impact considérable dans cette lutte vers l’égalité, ce qui m’a beaucoup appris.
C’est toute l’histoire des Noirs Américains que l’on découvre dans cette œuvre marquante, les différentes pierres apportées par ces noms oubliés dans cette recherche de reconnaissance de leur existence, de leurs droits et de leur contribution à la richesse et la grandeur des Etats-Unis, pays qui les a réduits en esclavage, les a exploités et les a ensuite mis de côté, laissés sur le carreau, méprisés et déniés toute humanité.
Mais, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à blâmer et d’ailleurs la lutte ne s’arrête pas à la frontière américaine.
C’est une époque d’éveil des consciences, qu’elles soient noires ou blanches (pour quelques-unes) et ce jusque dans les colonies africaines, qui mènent alors le même combat.
C’est ce que l’on entrevoit dans la deuxième moitié du récit, avec sa rencontre avec le charismatique Vuzumzi Make. Une lecture édifiante donc pour qui s’intéresse à l’aspect historique mais cela ne s’arrête pas là !
En effet, elle nous conte aussi le quotidien d’une femme seule, qui n’a pas renoncé à sa féminité parce qu’elle a un fils, toujours en quête d’amour et de protection, une femme toute en contradiction donc, qui ne fait qu’une avec la femme forte, la militante.
C’est également une fille, celle de Vivian Baxter, avec qui elle semble partager une histoire douloureuse et compliquée (que l’on découvre certainement plus en détail dans le premier livre de son autobiographie, Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage qui porte apparemment sur son enfance).
On sait immédiatement de qui elle tient son bagout.
J’ai adoré sa mère et aurais apprécié de la voir davantage mais ce n’était pas le propos ici.
Voici un petit extrait pour vous rendre compte du phénomène en question. Vivian s’adresse à Maya :
« Les animaux détectent la peur. Ils la sentent. Or, tu sais comme moi que les humains sont des animaux, eux aussi. Ne laisse jamais les autres voir que tu as peur. Sous aucun prétexte. A plus forte raison lorsqu’ils sont nombreux. La peur fait ressortir ce qu’il y a de plus vil chez l’humain. Dans le hall, tu tremblais comme un lapin traqué. Je le sentais et tous ces Blancs aussi. Si j’avais pas été là, ils se seraient peut-être transformés en meute. A ma vue, ils ont compris qu’ils avaient intérêt à ne pas nous embêter. Sinon, ils auraient besoin d’un nouveau derrière pour remplacer celui que leur maman leur a donné. »
Elle nous montre à voir encore la mère célibataire, qui tente d’élever son fils, Guy, au mieux et qui jongle entre son implication dans le mouvement de lutte, sa carrière artistique (de danseuse et chanteuse), qui lui sert avant tout de moyen de subsistance puis à lever des fonds pour la SCLC, l’organisation du pasteur King et celle d’apprentie écrivain au sein de la Guilde, plus tard et enfin avec les peurs, les doutes de la maternité ainsi que l’âge ingrat de l’adolescence et les dangers qui guettent son fils dans le quartier qu’ils habitent, à Harlem, gangrené par les gangs de jeunes désespérés qui y font la loi :
« Je devais d’abord comprendre la mentalité des Sauvages. C’étaient de jeunes Noirs qui s’en prenaient à d’autres jeunes Noirs. On avait réussi à les convaincre de leur insignifiance. Quiconque leur ressemblait ne valait pas mieux qu’eux. Chaque jour, le soleil se levait sur une journée sans espoir et se couchait sur une journée sans succès. Maîtres de l’air, de la nourriture, des emplois, des écoles et des règles du jeu, les Blanc refusaient de partager avec eux ces biens de première nécessité – et, au plus profond de leur inconscient, ces garçons leur donnaient raison. Eux, les jeunes Noirs, les seigneurs de rien du tout, étaient nés sans valeur. (…) Je comprenais les Sauvages. Je comprenais et je honnissais le système qui les avait façonnés. Ils n’avaient pas pour autant le droit de passer leur colère et leur frustration sur mon fils. »
Cette plongée dans l’intimité de l’auteur, au cœur même des événements, rend cette lecture touchante, vibrante d’émotions. J’ai ressenti un véritable coup de cœur pour ce récit plein de hargne et d’espoir à la fois, de tendresse et d’amour.
J’y ai fait la rencontre d’une amie car l’on a vraiment l’impression de la connaitre, de partager son ressenti, une femme forte, une de ces grandes dames que l’on aimerait avoir eu le privilège de côtoyer, au plus proche des événements de l’Histoire, qui ne l’a pas seulement subie mais l’a réellement vécue, a participé, à son échelle, à faire bouger les choses, même s’il reste encore beaucoup à faire aujourd’hui…
J’ai un peu moins aimé la partie où elle rencontre Make, combattant sud-africain pour la liberté, contraint à l’exil et où elle part avec lui, en Afrique, jusqu’à leur rupture. J’ai eu du mal à la reconnaître dans ce rôle de parfaite femme d’intérieur soumise à son mari dans lequel elle semble s’enfermer et étouffer par fierté, pour ne pas admettre son erreur, qui est sa vision à lui de la "femme africaine".
Cela ne lui correspond pas du tout, à elle, la femme d’action, forte et indépendante et le pire, c’est qu’elle en est parfaitement consciente et se révolte parfois, nous permettant de retrouver la Maya d’avant :
« Il rit de nouveau.
- Tu imagines la femme de Martin King, de Sobukwe ou de Malcolm X debout sur une scène, offerte à la vue d’hommes blancs ?
Devant cette idée absurde, il secoua la tête.
- Non, non. Il est exclu que tu puisses te produire en public.
J’avais déjà refusé la proposition de Glainville, mais, face à l’attitude de Vus, je bouillais intérieurement. (…) Avant l’entrée de Vus dans ma vie, l’argent que je gagnais grâce au jeu avait payé mon loyer et nous avait nourris et vêtus, mon fils et moi. En donnant à Vus mon corps et ma loyauté, je n’avais pas renoncé à tout droit sur ma vie.»
Cette dernière constatation n’est au final qu’une broutille qui n’entache en rien mon appréciation globale, plus que positive et enthousiaste, d’autant que chassez le naturel, il revient au galop !
Elle se réveille vite de son rêve éveillé et va reprendre son destin en main, pour mon plus grand bonheur et soulagement.

Une lecture faite dans le cadre du challenge d'Enna, qui date de février et pour laquelle je suis donc totalement hors délai :
